Les bouleversements du monde ne s'arrêtent évidemment pas à la porte du théâtre : jusque dans nos chairs, nos tissus, nos vertiges et nos souffles, ils agissent et nous agitent, ils pétrissent nos mouvements. Nos corps sont des paysages dont certains des reliefs ont la forme exacte des désastres ambiants. Danser, c'est inévitablement écrire dans cette épaisseur là, tout contre l'effondrement qui nous constitue aussi. Danser c'est, malgré mais aussi avec nos fragilités multiples, nos asphyxies somatiques et politiques indissociablement, faire tenir la promesse d'une respiration nouvelle. Ce que j'entends et attends d'un acte de résistance sur scène, ce ne sont pas quelques gestes énoncés sur le thème des fragilités contemporaines comme une leçon administrée par l'artiste pour nous sensibiliser ou redresser, mais la preuve entière que nous sommes toujours vivants, et que peut donc surgir demain tout ce qui n'est pas encore advenu. L'institution, l'artiste, le public lui-même doivent être à mon sens des co-artisans de cette preuve là, des enquêteurs associés au travail de débusquer et faire retentir nos beautés et nos forces demeurant aujourd'hui inouïes. Par les voix et les voies de la danse, l'enjeu n'est à mon sens pas de dénoncer ni ressasser ce qui a lieu, mais de maintenir puissant le désir et ouverte la possibilité de tout ce qui n'a pas encore lieu. La scène est, je crois, un espace exactement construit pour cela.

Julie Guibert, directrice du Ballet de Lyon